C’est à chaque fois la même chose : j’attends, de longues semaines durant, le moment où les dernières épreuves auront été remises, et donné le bon à tirer – or, une fois venue la délivrance, non seulement je n’en éprouve aucun soulagement, mais me sens comme envahi, bien au contraire, d’un sentiment d’inquiétude, de regret, de désarroi mêlés. Il faut croire que, toutes proportions gardées, je souffre de ce qu’on appelle le baby blues…
Le Dictionnaire amoureux de Versailles sera mon vingtième livre ; mais il s’impose comme le plus important à mes yeux. Tant d’années de visites in situ, de conférences, de colloques, de lectures, de méditations, tant énergie investie à connaître un lieu, à comprendre ses logiques, pour aboutir à cette somme très singulière ! Car – et c’est ce qu’il y a de fort dans cette collection des Dictionnaires amoureux, chez Plon – le Versailles que l’éditeur m’a demandé d’y faire briller n’est pas le Versailles habituel, connu ; c’est mon Versailles, c’est le fruit de mes expériences et de mes réflexions personnelles. Du reste, à mesure que s’édifiait un ouvrage de près de six cents feuillets, je me rendais compte que c’était mon autoportrait qui s’y dessinait en creux…
Jamais, dans un livre ou ailleurs, je n’aurai mis autant de moi-même ; jamais je ne me serai tant livré qu’à travers ces articles consacrés, en apparence, aux animaux de Louis XV, aux transformations de l’Opéra royal, aux humeurs de la Princesse Palatine, à la flottille du Grand Canal, aux mœurs des courtisans, au trésor de Louis XIV, à l’éclairage et à la lutte contre le froid, aux chefs-d’œuvre disparus de Versailles : la grotte de Téthys, le Trianon de porcelaine, l’Escalier des Ambassadeurs… Sur ces sujets comme sur cent autres, il m’a fallu songer sans cesse à ce qu’ils éveillaient en moi de souvenirs et d’impressions spécifiques – pour ne pas dire différents.
Voilà pourquoi, sans doute, je me sens à ce point anxieux à l’idée d’abandonner ma création aux mains des correcteurs, des composeurs, des imprimeurs et, bientôt, des libraires. Je n’ose parler des ultimes destinataires : les lecteurs – vous. J’aurai bien assez tôt votre avis sur ma progéniture…