[Bonus] : La dernière lettre de Melle Aïssé. A Mme Calandrini (l’une de ses meilleures amies)

« Je ne puis causer longtemps avec vous aujourd’hui, mais je vous dirai ce qui mettra le comble à vos souhaits. J’ai, Dieu merci, exécuté ce que je vous avais mandé, je suis comblée. Ma tranquillité n’est plus que trop grande, car je ne me sens pas assez repentante de mes fautes ; mais je suis dans la ferme résolution de ne plus succomber, si Dieu ne me retire pas sitôt à Lui, je ne souhaite plus la vie que pour remplir mes devoirs et me conduire d’une façon qui puisse mériter la miséricorde de ce bon Père. Il y aura demain huit jours que le Père Boursault a reçu ma confession. La démarche que j’ai faite a donné à mon âme un calme que je n’aurais point si j’étais restée dans mes égarements. J’aurais, avec l’objet d’une mort présente, les remords qui m’auraient rendue bien malheureuse dans ces derniers instants. Je suis dans un tel état de faiblesse que je ne puis sortir de mon lit. Je m’enrhume à tous les moments. Mon médecin a des attentions pour moi étonnantes, il est mon ami, je suis bien heureuse en tout. Tout ce qui est autour de moi me sert avec affection. La pauvre Sophie a des soins de mon corps et de mon âme étonnants. Elle m’a donnée de si bons exemples qu’elle m’a presque forcée à devenir plus sage. Elle ne m’a point prêchée, son exemple et son silence ont eu plus d’éloquence que tous les sermons du monde. Elle est affligée jusqu’au fond du cœur. Elle ne manquera jamais de rien, quand elle m’aura perdue. Tous mes amis l’aiment beaucoup et en auront soin. Je ne vous parle pas du chevalier, il est au désespoir de me voir aussi mal. Jamais on n’a vu une passion aussi violente, plus de délicatesse, plus de sentiments, plus de noblesse et de générosité. Je ne suis point inquiète de la pauvre petite, elle a un ami et un protecteur qui l’aime tendrement. Adieu, ma chère madame, je n’ai plus la force d’écrire. C’est encore pour moi une douceur infinie de penser à vous. Mais je ne puis m’occuper de cette joie sans m’attendrir, ma chère amie. La vie que j’ai menée a été bien misérable : ai-je jamais joui d’un instant de joie ? Je ne pouvais être avec moi-même, je craignais de penser. Mes remords ne m’abandonnaient jamais depuis le moment où j’ai commencé à ouvrir les yeux sur mes égarements. Pourquoi serais-je effrayée de la séparation de mon âme, puisque je suis persuadée que Dieu est tout bon et que le moment où je jouirai du bonheur sera celui où je quitterai ce misérable corps ? »

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