De retour de Vienne, en Autriche – où nous avons tourné un nouveau numéro de L’Ombre d’un Doute – j’apprends que Londres serait passée devant Paris, et devenue, en 2013, la première destination touristique mondiale (si l’on s’en tient du moins au nombre des touristes étrangers) : seize millions contre quinze millions neuf-cent mille… En période électorale, ces chiffres sont évidemment contestés par la Municipalité sortante ; ils n’en traduisent pas moins une diminution sensible de l’attrait touristique de Paris et, plus généralement, de la France.
Mezzo voce, tous les professionnels du secteur vous le diront : sous une apparence de bonne santé – nous partons de haut et bénéficions d’une réputation largement séculaire – la situation du tourisme national est des plus alarmante : concentration des visiteurs sur quelques régions-phares (Paris, la Côte d’Azur et les châteaux de la Loire), diminution de la durée médiane des séjours, recul de la dépense moyenne par personne, etc… Encore les chiffres ne traduisent-ils pas la baisse de niveau des voyageurs attirés par la France : un ancien tourisme de luxe est en train d’y céder la place aux circuits bon marché de tour-opérateurs au rabais ! Les explications proposées vont de l’insuffisance des infrastructures d’accueil à la baisse du niveau des prestations offertes.
Et si, tout simplement, la France était en train de payer l’espèce de désintérêt qu’elle manifeste, depuis des décennies, pour une activité qu’elle ne parvient pas à estimer ? Lorsque j’étais à Sciences-Po, on parlait d’un « syndrome viennois » pour se moquer de ces pays-musées qui, faute d’une industrie lourde suffisante, avaient tout misé sur l’exploitation de leur patrimoine. L’Autriche ne s’est-elle pas hissée, ainsi, au premier rang mondial (si l’on excepte le cas particulier de Chypre) pour le montant annuel par habitant des recettes en devises générées par le tourisme ? Il y a vingt-cinq ans, cela pouvait nous faire sourire – aujourd’hui, le sourire s’est crispé.
Mon court séjour aux rives du Danube m’aura permis – une fois de plus – de constater qu’à Vienne, accueil, service, hospitalité ne sont pas de vains mots. Le contraire de la réputation de négligence et de mauvaise humeur que s’est forgée la France… Du reste, ces efforts ont porté leurs fruits : en Autriche, un emploi sur cinq est lié au tourisme. Faut-il préciser que ces emplois-là sont souvent valorisants, qu’ils comportent une marge de progression appréciable et – plus que tout – qu’ils sont impossibles à délocaliser ?
Un « pays-musée », l’Autriche ? Peut-être… Nous ferions bien, dans ce cas, d’en prendre de la graine.
Pris au piège
J’adore les romans d’aventure de Jack London et une des plus belles histoires que j’ai pu lire – de lui – sur le Grand Nord est Construire un feu. On y retrouve la mère nature dans toute sa splendeur, la lutte pour la survie contre l’élément naturel et la prise de risque inhérente à toute vie… A la fin, si je me souviens bien le héros meurt, de froid. La sanction est rude pour celui qui s’aventure à la légère sur des terres qu’il croit connaitre mais dont il ne soupçonne pas tous les pièges ou subterfuges que Dame Nature lui a tendu. Le voyageur est alors comme « étranger sur ses propres terres ». Or, c’est ce que je ressens, moi qui suis français, vivant à Lyon. Je me sens comme un étranger sur ses propres terres et je lutte pour ma survie et celle de ma famille dans un milieu qui est devenu à la fois hostile mais aussi incompréhensible, sournois, voire pervers. Sans cesse sur le qui-vive, je ne me sens plus chez moi en France et pourtant c’est un pays que j’adore et qui est merveilleux. J’ai la rage au ventre quand je vois ce que l’on en a fait et quand je pense à ce que l’on aurait pu en faire. Je me sens pieds et poings liés et j’ai souvent à l’esprit cette phrase qui me hante et qui est devenu un de mes sauf-conduits « Partir pour mieux revenir ». J’ai de la chance, mes parents aux revenus modestes mais gens éclairés ont investi dans mon éducation comme dans celle de mes deux frères d’ailleurs, et à 41 ans bien sonnés, je pense avoir les outils pour m’exporter et aller voir du côté de nos voisins européens si ma volonté de faire du bon travail et de mettre mes enfants à l’abri du besoin tout en leur donnant une formation d’avenir a encore un sens. Le pouvoir actuel ne nous donne absolument plus le choix et nous pousse tout doucement vers la porte de sortie après nous avoir pressé le plus possible comme des agrumes juteux que l’on jette à la poubelle une fois le précieux jus recueillis pour des convives dont je ne fais pas partie : hausse des impôts qu’ils soient locaux ou sur le revenu, hausse des cotisations de mutuelle, baisse des taux de remboursements mutuelles sur le dentaire ou encore la lunetterie, paiement plein pot pour la cantine des enfants et j’en passe… Pris au piège. Assez !! Rendez-nous les valeurs tirées de notre travail afin que nous puissions continuer à partager avec le plus faible afin que fraternité continue d’avoir un sens !! Je me sens pris sous la glace et je sais que si je ne réagis pas rapidement, il est fort possible que mon navire s’échoue sur un iceberg ou ne soit broyé entre les glaces comme celui jadis de Sir Shackleton !
Rester, mais alors dans quelle condition et pourquoi faire ? Pourquoi financer des guerres quand le pays est exsangue et la pression fiscale de plus en plus dissuasive ? Les gens comme moi représentent – d’après moi- le dernier rempart pour que le pays ne sombre pas totalement dans le marasme économique et la misère ; les plus riches eux font ce qu’ils veulent, s’en vont s’en viennent d’un simple clic exportent leurs valeurs, et un pied à terre en France est pour eux comme un séjour agréable dans un pays où ils n’ont plus d’inconvénients mais que des avantages. Si nous sommes de plus en plus nombreux à partir, qui va rester pour financer le système social qui est le nôtre depuis plus de 70 ans et qui faisait de la France un pays de rêve ? Que deviendra la France ?
Une amie originaire de Shanghai mais qui habite la France depuis plus de 10 ans maintenant me dit à chaque fois qu’elle rentre d’un séjour à Shanghai : « Mon dieu, au fil des mois et des années je vois la France s’enfoncer de plus en plus dans la grisaille, les jeunes sont tristes n’y croient plus et le pays est comme en sommeil… »
Alors quoi Monsieur le Président, devons-nous partir pour nous sauver nous-même ? Quel choix nous laissez-vous ? Quelle orientation générale avez-vous décidé de prendre et pourquoi notre pays s’enfonce petit à petit sous l’effet d’un glissement de terrain que nous devrions renforcer, cultiver et enrichir pour le bien-être de tous… Pourquoi nous poussez-vous dehors ? Quelle histoire êtes-vous en train d’écrire en secret dans les salons dorés de l’Elysée ?
Même dans l’un des rares secteurs où la France rayonnait encore il y a peu, c’est la dégringolade… Je me demande comment la France tient encore sur ses pattes… Décidément, Monsieur Ferrand, je partage toujours l’humeur de vos billets….. (ma consolation – enfin façon de parler!- c’est que je ne suis pas seule à pleurer sur le prestige perdu de notre cher pays).
J’habite en Allemagne depuis 20 ans et depuis ce temps-là j’écoute avec honte et résignation les expériences négatives de ses habitants dans ma belle patrie… Heureusement que les expériences de jumelage sont en général excellentes.